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Une voix seule
 

                                                                                           

                                                                                               

                                                                                     à Lili Frikh


Un livre vif, passant d’essentiel. 

Il y a  « cette primauté de l’expérience nue »  selon les mots de Jean -Christophe Bailly.

Dans le passage du temps, il y a la voix dans l’expérience nue de la voix, hors la performance, hors la  représentation, le mot n’a que l’immédiat, n’a pas le temps de poser ni de s’accorder une pause, il tombe, « tomber dans tomber »  pour reprendre les mots de Marina Tsvetaieva. 

 

L’oral est là, à vif. L’oral est radical, ciel et sous-sol, souterrain, même s’il risque l’écrit ; l’oral source la langue, avant que la langue ne fige le mot, avant que la langue n’écarte le mot de l’attention à venir, d’un nous à venir. La ponctuation peut être bouleversée, emportée dans l'intonation de la voix, la voix souffle et respire comme elle le peut dans l'immédiat.

« Je suis très loin de tout cercle (j’entends par là cercle de personnes) donc très loin aussi des cercles littéraires, qui sont ici beaucoup plus absorbés par la politique que par la littérature, c’est-à-dire vocifèrent et haïssent plus qu’ils ne se taisent (n’écrivent) et n’aiment » dit Marina Tsvetaieva.

 

J'écoute la voix prononcer quelques mots entre lumière obscure et lumière vive. C'est peut-être dans la voix que la lumière côtoie l'obscurité et que l'obscurité côtoie la lumière.

Est-ce qu’au fond, au tréfonds de la voix et au répons de la voix, un mot peut exister sans l’autre ?

Il y a l'inouï de la lumière. Il y a l'inouï de l'obscurité.

« Regarder jusqu'à ouïr , écouter jusqu'à voir en transparence des choses, jusqu'à déceler des résidus de nuit épars dans le jour, des traces de lumière à vif dans le noir » précise Sylvie Germain.

 

Un mot, un autre, l’autre sont là dans l’intonation de la voix. La voix vient avec le manque et avant que le silence du livre ne la creuse, ne la sépare.

 

Dans le retrait, l’écart et l’égard, la voix seule, la voix nue est un livre tremblé et tremblant, tendu à venir, tranchant, transitif, à saisir, à désir.

 

La voix seule, la voix nue bouleverse l’espace du livre, avant le livre, avant que le livre puisse exister.

Puisse rester la voix dans un cœur battant au creux du livre. Elle est une voix de surcroît, « le surcroît de l'ici et maintenant » dit Jérôme Thélot parlant d'autres voix immanentes.

 

Nous reste la voix d’être. Une voix d'être. Une voix seule. Elle désécrit la langue. Il s'agit de « parler autrement » relève Jérôme Thélot. Une voix seule est à portée de l'autre, ardente.

 

Avec cette voix, il y a un « langage qui va du côté de la simplicité, de la pauvreté, et lui seul, me donne un sentiment de justesse » pour reprendre des mots de Roger Laporte.

 

Jean Gabriel Cosculluela

 

4 - 23 septembre 2023

 

(À propos du livre de Lili Frikh, Un mot sans l’autre, dialogue avec Philippe Bouret, Rilhac-Rancon, éditions Mars-A, coll. Poésie sur tous les fronts, 2023)

Jean Gabriel Cosculluela (1951, Rieux-Minervois, Aude). Originaire du Haut-Aragon (Pyrénées espagnoles). Vit en Ardèche. Conservateur en chef des bibliothèques. Écrivain, traducteur. Co-dirige la collection Espaces de peu  (Atelier des Grames). Fait partie du comité de rédaction de la revue faire part.  Une trentaine de livres  dont  :  L'Envers de l'eau (éd. Fata Morgana, 2005) avec des photographies de Jacqueline Salmon

Maison, où... (éd. Méridianes, 2016) avec des peintures de José Manuel Broto,  Tset, tsvet (éd. Centrifuges, 2016) avec des peintures de Claude Viallat, Nuidité du papier  (éd. de Rivières, 2018) avec un texte de Michel Butor et des peintures d’Anne Slacik,  Tarrampeu  in  Frau(x)  (éd. du Frau, 2018) avec des photographies d’Odile Fix,  S’amuïr  (Passe du Vent, 2019) gravures Gisèle Celan-Lestrange, La Peinture continue (Fabelio / Archipel Butor , 2020) peintures Anne Slacik, Retournons voir l'invisible suivi de A l'oeil nu, accueillons les formes d'avant le jour (Voix, 2021) peintures Serge Fauchier,  Le Livre se livre nu (Voix, 2021) encres Richard Meier , Suite aragonaise / Suite aragonesa (Les yeux les mains, 2023) peintures de Christian Sorg, Vida : Suite pour Roger Laporte (Artgo, 2023) travaux d'Anne-Marie Pécheur.

Nombreux livres d'artistes avec des artistes contemporains.

 

Autres livres aux éditions A Demeure, L’Amourier,  A Passage, Atelier des Grames, Le Bourdaric, Brémond, Le Cadratin, Centrifuges, Collodion, Color Gang, Comp’act, Créaphis, Fata Morgana, La Féline, Hanneton, Huguet, Izella, Le Livre pauvre, Mains-Soleil, La Margeride, La Petite Fabrique, La Porte, Propos2, Rencontres, Rivières, La Rumeur Libre, La Sétérée, Tarabuste, Trames,   Les Yeux les mains, Zéro l’infini…

 

Nombreuses publications en revues en France et en Espagne.

Travaux sur Joe Bousquet : entre autres, introduction et co-direction du dossier J.B. dans la revue Nunc 33 (2014) avec Hubert C. et introduction et co-direction du dossier J.B.  dans la revue Europe 1135-1136 (2023) avec Jean-Baptiste Para.

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